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 Douleur désincarnée

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Napalm Dave

Napalm Dave


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MessageSujet: Douleur désincarnée   Douleur désincarnée Icon_minitimeMer 17 Jan - 21:07

Une nouvelle fantastique, la première des "Contes d'outre-plan", mon anthologie. Déjà publiée dans les songes du crépuscule.
Attention! C'est un peu "cru".
Re-attention! L'action se déroule dans un contexte de guerre, mais n'y voyez aucun parti pris politique.

Douleur désincarnée (première partie)

Un bruit mat suivit la chute du corps et les miliciens évacuèrent immédiatement les abords de la fosse, comme pour fuir des regards extérieurs. Mais qui pouvait bien les surprendre dans leur horrible besogne? Ils s’étaient rendus maîtres de la ville et il n’y aurait aucun témoin à leur dernière exaction.

Le poignard avait pénétré la chair du jeune garçon comme du beurre, et les hommes en gris en avaient retiré une macabre satisfaction. Un enfant de plus était tombé sous le froid de la lame ou la brûlure de la balle ; les miliciens tuaient indifféremment hommes, femmes, enfants et vieillards. Les premiers représentaient leurs pires ennemis, les combattants du Djihad, les secondes étaient encore assez nombreuses dans la ville, elles commençaient aussi à prendre les armes et beaucoup avaient été meurtries dans leur chair. Mais les enfants, surtout les mâles comme Armin, étaient les pires aux yeux des mercenaires : les futurs combattants, de la graine de boïvikis. Quant aux vieillards, résignés, ils n’avaient plus rien à perdre dans cette vie et n’en étaient que plus dangereux, après tout, ils incarnaient la mémoire de l’ennemi à abattre…

La zone de combat était à présent dénuée de toute vie, les cœurs des miliciens avaient été les derniers à y battre. Le corps inerte d’Armin avait lourdement percuté ce qui restait d’une femme. Tout était plus lourd dans la mort, même un enfant, un frêle garçon des faubourgs comme lui. Ses yeux fixes étaient rivés sur le monceau de corps jetés à la hâte dans ce trou poussiéreux, s’ouvrant comme un cloaque au milieu d’un champ de gravats. Armin reposait un torse tronqué, dont la poitrine ensanglantée était manifestement féminine, ce corps n’avait plus de tête, ni de mains, et ses jambes disparaissaient sous la chair des autres cadavres. Les mercenaires pro-russes étaient passés maîtres dans l’art macabre d’effacer l’identité de leur ennemi, une manière inégalable de les dépersonnaliser. Une disparue de plus ne retrouverait jamais ni son nom ni son corps…

Armin était un cadavre, mais il pouvait voir, et entendre. Sa conscience embrumée l’avertit qu’il devait tout de même être mort car il ne ressentait plus rien, ni froid, ni chaleur, ni douleur. Son corps et ses sens étaient plongés dans un état de somnolence mortuaire, et il ne sentait plus son cœur battre. Il était spectateur de sa tombe, de sa corruption, c’était donc ça la mort ? Où était Dieu ? Pas de lumière, ni d’ange, ni de tunnel lumineux, juste cette fosse et la vision figée du charnier. Bientôt il allait commencer à se dessécher, à se décomposer, à noircir. Les rats allaient venir le prendre, puis les insectes. Ils étaient les plus nombreux maintenant entre les murs de Groznyï. Les yeux d’Armin allaient rester ouverts, il assisterait à tout, jusqu’à ce qu’ils disparaissent à leur tour… Armin voulut crier, mais comme dans ces vieux cauchemars dont on se réveille paralysé, aucun muscle ni souffle ne répondait…

Une douleur aiguë à la joue le ramena à la vie, douleur salvatrice qui lui fit à nouveau circuler le sang dans ses membres engourdis. Armin sentit ses forces revenir, et un contact poisseux sur sa joue : là où le grand mercenaire aux yeux de givre l’avait tailladé. D’un mouvement sec, il se dégagea du contact de la femme-tronc et une tension insupportable parcourut son corps. Il tenta en vain d’enlever un peu de ce sang étranger qui maculait son sweat-shirt ; manifestement le massacre ne devait pas remonter à très longtemps. Armin voulut crier, mais seul un gémissement sourd sortit de sa bouche sèche.
Il se mit à trembler, le froid de la lame envahit à nouveau son corps meurtri, il porta la main à son flanc et grimaça, puis osa enfin un regard à sa blessure. Une croûte de sang s’était formée et semblait se confondre avec le tissu de ses pauvres vêtements. Pour une fois, les spécialistes de la mort s’étaient trompés, ils l’avaient laissé pour mort avec une blessure qui ne l’avait pas terrassé. La violence du coup l’avait fait s’évanouir, il avait besoin de soins, mais grâce à dieu, il n’était pas mort, Allah Ak Bahr !

Plus tard, il se vengerait de tout cela, de la mort de son père, abattu sans raison, et de son pauvre grand père, fauché par une mine. Il serait moudjahidin et il porterait la peur au cœur des lignes ennemies. Il n’était pas Boiviki mais les méfaits de ces brutes l’avaient décidé. Non, ils n’auraient pas dû le rater, pas dû le jeter comme ça avec les morts !
Il se releva soudain, maudissant sa propre bêtise, pourquoi avait-il pensé cela ? N’en avait-il pas eu assez ? Car en vérité il entrerait dans leur jeu, à tous ces chefs, ces religieux et ces généraux brandissant la bannière de l’idéologie, se couvrant de certitudes réconfortantes au prix du sang des autres. Non, il ne devait pas leur donner raison, il n’allait pas le faire, il allait simplement survivre jusqu’à la fin, comme un pied de nez à la guerre.

Les détonations de l’artillerie et des mitraillettes paraissaient étrangement lointaines, Armin était perdu à l’écart de tout, même des combats, loin derrière les lignes ennemies. Mais y avait-il encore un front dans cette guerre ? Au loin, dans le ciel de fer, il reconnut la silhouette tristement familière d’un Kamov 50, mais le monstre de métal était bien trop loin pour le voir et seule l’habitude de son œil exercé permettait à Armin de le reconnaître.
Malgré l’angoisse et la blessure, il entreprit de sortir du trou où on l’avait jeté. Il ne pouvait pas rester là. Cette ascension serait son premier pas vers la vie. Il s’aida de ses mains endolories. Plusieurs fois, ses pieds glissèrent, provoquant la chute de pierres. Sous ses mains elles étaient comme un millier de lames émoussées. Lorsqu’il en émergea, il s’assit sur le bord et souffla enfin. Ses yeux se détournèrent immédiatement du charnier en contrebas, il eut un haut-le-cœur. Armin avait la sensation désagréable d’être un insecte se débattant avec l’énergie du désespoir pour tenter de sortir d’un piège mortel. Cela lui rappelait les pièges des fourmilions dans lesquels son frère et lui s’amusaient à précipiter les fourmis avec les doigts !

Toujours assis, il recula comme pour échapper au charnier, mais son dos percuta quelque chose de dur. Il se retourna brusquement et vit qu’il avait buté sur une caisse en bois dont la peinture partait en écailles. Une tente igloo était solidement plantée juste derrière, ouverte, et les miliciens y avaient laissé de quoi dormir sur un sol hérissé de pointes. Mais le regard d’Armin se posa plus particulièrement sur l’arme qui trônait, posée négligemment sur le matelas. Il s’en saisit. Manifestement, les mercenaires comptaient revenir bientôt et n’avaient pas envisagé un seul instant être « visités » par des intrus.
Armin brandit la kalachnikov, agenouillé, levant les bras dans un geste de triomphe. Il n’était déjà plus un enfant, l’arme lui conférait un tout autre aspect. Bizarrement, le contact du métal et du bois de la crosse ne lui provoqua aucune émotion particulière : l’arme était à lui, et il en avait besoin, voilà tout…
Il plongea à moitié dans la tente, avec l’espoir d’y trouver des provisions et mieux encore, une trousse de secours. Un frisson caractéristique parcourut soudain son corps : il n’était pas dû au froid ou à sa blessure, non, c’était plutôt comme une sorte d’intuition…

Il se jeta dans l’abri, l’arme pointée vers l’extérieur. Si les soldats gris étaient de retour, ils finiraient sans doute par le voir, mais ils devraient livrer un combat sans merci ! Cependant, aucun cri, aucun rire, ni aucun bruit de pas dans la poussière des gravats ne lui parvint. Non, mais il se passait quelque chose, il en était sûr, ses sens le lui criaient.


Dernière édition par le Mer 17 Jan - 21:08, édité 1 fois
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Napalm Dave

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MessageSujet: Re: Douleur désincarnée   Douleur désincarnée Icon_minitimeMer 17 Jan - 21:07

Deuxième partie:

Une brume sanglante se forma à la hauteur d’une des fosses, située non loin de celle où on l’avait jeté… Armin crut d’abord que ses sens fatigués l’induisaient en erreur, mais en fronçant les sourcils, il la distingua plus clairement dans l’air chargé de poussières. Il était trop habitué aux fumigènes et aux gaz pour les confondre avec cette bruine pourpre, scintillante, qui tournoyait et s’étendait, comme animée d’une vie propre.
Il ne pouvait rien faire d’autre que regarder, couché dans son abri dérisoire ; en fait, il était trop fasciné par le phénomène pour pouvoir réagir. C’est alors qu’il les vit débouler, silencieusement du nuage de sang ! Des choses fantomatiques courant sans un bruit autour des fosses ; ce n’étaient pourtant pas les fantômes que l’on décrit dans les histoires ou que l’on voyait au cinéma, avant la guerre, non rien de tout cela… Les silhouettes étaient tout un groupe, une bande, une douzaine à première vue, elles avaient une allure vaguement humaine, mais leurs bras éthérés semblaient plus longs et plus forts, et elles se déplaçaient courbées. Leurs mouvements n’avaient, eux, rien d’humain : ils étaient saccadés, maniérés à l’extrême, comme une danse folle. Avec un mélange d’horreur et de fascination, Armin les vit s’attarder sur les charniers, courir d’un trou à l’autre et se pencher sur les cadavres. Peut être était-il vraiment mort après tout ? Peut être distinguait il les ombres de l’au delà ? Peut être venaient-elles le chercher pour accomplir « le grand voyage ». Peut-être était déjà t’il l’une d’elle…

Armin sursauta et ne put réprimer un hurlement : un des corps venait de se relever du monceau, là où l’instant d’avant une « ombre de sang » avait sauté à pieds joints. Le pantin marchait, raide, mais s’était extrait sans difficulté de sa fosse. La terreur arracha un cri à Armin, puis un autre, mais les choses n’y prêtaient aucune attention. Il vit impuissant le spectacle macabre de deux, trois puis cinq corps se relevant à leur tour. Le premier sorti bougeait maintenant avec célérité, selon la même gestuelle absurde son hôte. Il courut vers l’épave d’un véhicule blindé qui rouillait au fond de ce qui avait été un parking résidentiel. Les jeunes yeux d’Armin le distinguèrent en train de s’affairer sur la carcasse recouverte de tags. Apparemment, le monstre cherchait quelque chose…

C’était donc cela ? Voilà pourquoi la lutte continuait ? Armin avait toujours entendu qu’il ne restait qu’un millier de boïvikis ou à peine plus, dans la ville. Il en descendait des montagnes, certes, prêts pour le Djihad. Mais bien d’autres encore renaissaient, il en était sûr maintenant, à l’abri des Russes. Mais les Russes n’étaient-ils pas eux aussi les proies des ombres? Si, de cela aussi il en était sûr ! Son monde de croyances s’était effondré pour laisser place à ces horribles certitudes ! Les ombres de la guerre étaient sorties de l’enfer pour prendre leurs corps, pour se battre encore et encore. Elles venaient se nourrir de la violence comme des insectes attirés pas la lumière d’un projecteur, comme une nuée de fourmis se jetant sur un quartier de chair.
Armin comprit tout cela en épaulant son arme et en mettant en joue les créatures. Déterminé, il saisit solidement le canon de son arme, la crosse bien calée au creux de l’épaule ; son cœur battait la chamade car il n’avait encore jamais fait cela. Mais ces choses étaient trop étrangères à la terre, et leur existence même trop ignoble pour qu’il les laisse faire, il fallait les tuer encore plus sûrement que des araignées répugnantes.

La rafale déchira le silence et Armin vit le corps de ce qui avait été un grand homme barbu décrire des mouvements saccadés avant de chuter en arrière. Les balles l’avaient traversé sans résistance, mais il avait tardé à tomber, en reculant dans une gigue folle. Les lèvres d’Armin tremblèrent, les autres pantins venaient de regarder dans la même direction : la sienne ! Leurs yeux étaient horribles, ils renvoyaient une sorte de lueur morte…


Une détonation, une seule… Les yeux embués d’Armin eurent presque le temps de distinguer la balle de Dragounov* fuser tel un insecte métallique avant de se ficher entre ses yeux, un tir bien ajusté, d’une précision inhumaine ! Le noir complet, puis plus rien… L’une des choses avait protégé le secret de son existence, car en vérité, Armin avait assisté à ce que personne ne pouvait rapporter.
Inch Allah…

Fin

*Sorte de fusil mitrailleur à très longue portée de fabrication russe.
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MessageSujet: Re: Douleur désincarnée   Douleur désincarnée Icon_minitimeJeu 18 Jan - 11:18

Nouvelle bien écrite et bien térrifiante Wink l'atmosphère de peur et d'horreur est bien ressentie.
Néanmoins, quelques phrases parraissent un peu lourdes.
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Napalm Dave

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MessageSujet: Re: Douleur désincarnée   Douleur désincarnée Icon_minitimeVen 19 Jan - 1:04

Ce texte a déjà subi une béta lecture draconnienne. Néanmoins, le phrasé laisse encore à désirer, et comme il s'agit d'un de mes premiers textes fantastiques (et un de mes premiers textes libres), il y a maintenant un décalage entre ce style et celui que j'ai actuellement avec un peu plus de bouteille.
Content d'avoir pu instiller une ambiance toutefois!
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Frank_Eldritch

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MessageSujet: Re: Douleur désincarnée   Douleur désincarnée Icon_minitimeMar 20 Fév - 21:15

Dommage qu'il n'y ait pas plus de détails sur ces "ombres de la mort". L'idée en elle-même est originale, mais pas assez exploitée.
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Napalm Dave

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MessageSujet: Re: Douleur désincarnée   Douleur désincarnée Icon_minitimeMar 20 Fév - 22:32

Je le note en vue d'une réécriture, la nouvelle deviendra une des pierres de mon anthologie "Contes d'Outre-plan" alors toutes vos observations sont bienvenues.
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MessageSujet: Re: Douleur désincarnée   Douleur désincarnée Icon_minitime

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