Et bien voici la nouvelle que notre chère jury a trouvé "intrigante"
mais qui n'a pas gagné SF03
... Je suis preneuse de tous les avis, en attendant la critique officielle...
Bon séjour sur Portat
Del était accroupi derrière un rocher de bonne taille, planté là, au milieu du désert. Les deux soleils d'Ipso, bien que déclinants à cette heure avancée, projetaient encore des rayons puissants sur le sol poussiéreux. La sueur coulait lentement dans le cou et sur le visage du jeune homme. Il s'essuya machinalement le front et demanda à Reno, installé à côté de lui :
- On fait quoi maintenant, on reste là ?
- Je crois que c'est qu'il y a de mieux à faire, non? On attend la nuit pour continuer. Méloir est pleine en ce moment, elle nous permettra de voir le chemin sans cette foutue chaleur!
- Le chemin, quel chemin? grommela Del, de toute façon on n'a aucune idée de l'endroit où l'on va…
- Ils ont dit que le gibier était à l'ouest. Nous allons à l'ouest. On trouvera!
- Tu crois que c'est la bonne solution? Je ne sais pas si…
- Tu en vois une autre ? coupa sèchement son compagnon. On en a assez discuté non? Bois un coup et économise ta salive…
Del poussa un long soupir et se laissa complètement glisser le long du rocher. Il fit glisser à ses pieds le sac rapiécé, mais solide, qu'il portait dans son dos et commença à fouiller à l'intérieur, à la recherche de sa gourde en peau d'Ubua. Il l'avait payée une fortune, mais ce revêtement particulier permettait de conserver le liquide au frais pendant de longues heures. Il ne regretta pas son choix en sentant l'eau toujours froide couler dans sa gorge asséchée. En tâtonnant à l'aveugle dans son sac à la recherche de quelque chose à grignoter, il sentit sous ses doigts la crosse rugueuse de son fléchojet. Il sortit vivement sa main du sac, comme piqué par un dard et resta un moment les bras ballants, sans réaction, assommé par la chaleur et une impression confuse de ne pas être au bon endroit ce soir.
Pourtant, comme venait de lui rappeler Reno, il n'y avait guère d'autre solution. A moins qu'il ne souhaite rester sur Ipso toute sa vie, devenir bousier comme son père, épouser une fille de la même caste et finir ses jours de la même façon qu'il aurait commencé sa vie.
Sur cette planète, quand on était un jeune homme mal né, on n'avait pas le choix. Où plutôt si, on avait un seul choix : participer ou non à la grande chasse.
Voilà pourquoi lui et Reno se trouvaient à cet instant recroquevillés derrière un éperon rocheux, à attendre la nuit, armés jusqu'aux dents, eux qui en temps normal n'avaient même pas le droit d'utiliser un lance -pierres pour chasser les oiseaux!
Le crépuscule arrivant, Reno se remit debout avec souplesse, s'étira longuement et tapota l'épaule de son compagnon qui somnolait.
- Pssstttt… On y va, la nuit arrive.
Les deux garçons commencèrent à cheminer en file indienne. Leur rythme était rapide, leurs gestes précis, malgré la nuit qui les avait rejoints. Les rochers étaient de plus en plus nombreux autour d'eux et les obligeaient à de longs détours. Peu à peu, la végétation reprenait aussi ses droits, des buissons apparaissaient de-ci de là, ainsi que quelques petits arbres chétifs.
Soudain, Reno arrêta Del d'une main et tout en l'incitant par gestes au silence, lui fit signe de s'accroupir.
Del obtempéra tout en regardant au loin devant eux et aperçut une forme vague sous un arbre.
- C'en est un, tu crois? chuchota-t-il
- Oui, j'en suis sûr.
- On dirait un nazbok. C'est peut-être un nazbok?
- Les nazboks sont plus grands! Regarde bien, on dirait qu'ils sont deux…
Del scruta longuement l'obscurité et la forme vague se transforma en deux silhouettes, une grande, une petite.
- On dirait, on dirait… Oh, c'est une femelle et son bébé!
- Oui c'est une chance, ricana Reno. On va en avoir deux d'un coup. C'est étonnant qu'elle soit ainsi isolée. Quelque chose a du la retarder, l'obliger à quitter son groupe. Ils sont moins prudents dans leur territoire.
- Attends, Reno, pas si vite … Je ne suis pas sûr de vouloir ça!
- Qu'est-ce que tu racontes? Ils nous ont bien dit qu'ils se moquaient du sexe. On doit juste en ramener un chacun. On les tue, et c'est terminé pour nous deux!
- Oui, mais le petit….
- Quoi, le petit? Sans sa mère, il ne survivra pas longtemps de toute façon…
Reno sortit lentement son arme de son sac et Del l'imita nerveusement.
- Tu n'as qu'à prendre la mère puisque tu as des scrupules, je m'occupe de l'autre.
Del commença à pointer son arme dans la direction de l'arbre, sans conviction. Les choses lui apparaissaient plus clairement à travers le viseur. La silhouette se précisa, elle tourna la tête vers lui et il eut l'impression qu'elle le voyait. Leurs yeux se croisèrent. Il lâcha brusquement le fléchojet et hurla :
- Arrête, Reno, arrête!
Son complice sursauta et tira en l'air. Un long cri strident déchira l'obscurité et la forme disparut brusquement dans les ténèbres.
- Mais qu'est-ce qui t'as pris? Tu débloques? On les avait, là, devant nous!!!
- Je l'ai vu Reno, je l'ai vu!
- Et alors?
- Ce n'était pas un animal!
- Quoi? Qu'est-ce que tu racontes?
- J'ai vu son regard. Elle savait ce qu'on voulait. Elle avait peur.
- Tous les animaux ont peur, c'est de l'instinct.
- Non, c'est plus que ça. Je ne sais pas comment t'expliquer, mais si tu l'avais vu comme moi… Après tout, personne ne les a réellement approchés de près. Sauf les gagnants, je suppose. Et ils sont bipèdes. Comme nous.
Reno agacé, secoua la tête.
- Tu racontes n'importe quoi. La fatigue te fait perdre la tête. C'est normal, cela fait 10 jours que nous sommes à leur poursuite…. Ils savent se cacher, et ils sont rusés, c'est vrai. Ils ont déjoué tous nos pièges. Ils ont égaré les autres. Mais pas nous. Et tu sais pourquoi? Parce que nous sommes les meilleurs! Nous allons aller au bout de cette chasse. Nous allons ramener ce gibier avec nous et notre vie va changer. Si nous sommes élus parmi les plus grands traqueurs, nous obtiendrons enfin un aller simple vers Portat.
- Je sais tout ça…
- Et bien on ne dirait pas! Tu te rappelles donc aussi que c'est le seul moyen pour des gens comme nous de vivre enfin autre chose. On dit que sur Portat, les castes n'existent pas. Chacun est libre d'entreprendre ce qu'il désire, et de devenir riche. De tout recommencer….
- C'est toi le meilleur Reno. C'est parce que je t'ai suivi que je suis là aussi. Sans toi, sans ta hargne et ta rage de vaincre, j'aurais abandonné depuis longtemps. Trop dur, trop dangereux, trop chaud, trop soif : les raisons ne manquent pas. Le gibier a le droit de se défendre, d'autres que nous y ont laissé leur vie. Je ne suis plus sûr de vouloir continuer….
- Tu vas abandonner parce qu'une femelle a croisé ton regard et que la fatigue te donne des hallucinations?!
- Je me pose des questions. Ils ne réagissent pas comme des animaux. Ils tendent des pièges, ils se cachent, ils s'enfuient puis ils attaquent… Ils agissent comme nous, et c'est pour ça que c'est si difficile de les attraper. Je ne peux pas tuer de sang-froid un être intelligent.
- Et bien moi je peux! coupa Reno en rechargeant son fléchojet. C'est du gibier et rien d'autre. Tu sais ce que je crois? Tu as peur et du coup, tu inventes cette histoire pour justifier ta lâcheté.
Ces propos, tenus d'une voix méprisante piquèrent Del au vif. Brusquement, il eut une idée très précise de la voie à suivre, lui qui hésitait depuis le début de l'aventure. Il était temps d'assumer.
- Reno, tu es mon ami. J'arrête. Tu comprendras. Je te souhaite bonne chance. Je suis certain que tu y arriveras. Moi je n'en suis pas capable.
- Alors nous ne nous reverrons plus, reprit son ami plus calmement, mais toujours aussi déterminé. Car tu sais que je n'aurais plus le droit de donner de nouvelles une fois parti.
- Je sais. Ce sera plus facile pour toi de tuer un gibier plutôt que deux. Adieu, reprit Del, la gorge un peu serrée.
Mais Reno lui tournait déjà le dos, pensant à sa proie qui était encore proche et la traque qui l'attendait…
Del repartit en arrière, à la fois piteux et soulagé. Il contempla le bracelet métallique qui lui avait été remis il y a dix jours, en même temps que les armes, une carte et quelques consignes de survie élémentaires. En poussant un soupir, il pressa le petit bouton situé sur le dessus du bijou et vit alors le bracelet rougir de plus en plus fort, comme chauffé à blanc. Il s'assit par terre et attendit qu'on vienne le récupérer, comme les autres démissionnaires ou les blessés, nombreux lors d'une chasse de ce niveau.
Reno continua d'avancer lentement, l'œil dans le viseur de son fusil. Il savait que sa proie n'avait pu aller très loin. Il était au cœur de leur territoire, après des jours et des jours de recherche. La fin était proche. Il sentit l'excitation le gagner. La végétation se faisait de plus en plus dense, les arbres de plus en plus nombreux. Il grimaça : une traque en forêt pouvait s'avérer compliquée, or le délai imparti approchait de sa fin. Il fallait rattraper la femelle avant qu'elle n'atteigne le bois. Elle était retardée par son petit, c'était un gros avantage pour lui. Il pressa encore le pas, se frayant un chemin au milieu des fougaris qui lui lacéraient les mollets de leurs petites épines. Le disque bien rond de Méloir l'éclairait maintenant presque comme en plein jour. Il accéléra encore, en oubliant toute prudence… Soudain, une ombre fondit de l'arbre situé au dessus de lui et il fut projeté à terre. Des griffes (des ongles?) commencèrent à lui lacérer le visage. Il se débattit furieusement, vexé de s'être laissé avoir de cette façon. Les deux adversaires roulèrent sur eux-mêmes et il reprit l'avantage. Il cogna à l'aveuglette, mais la créature se dérobait sous lui. Son sac à dos le gênait et il avait lâché son fusil en tombant. La femelle continua à se défendre, enragée, et elle finit par se redresser et chercha à s'enfuir. Il attrapa son fléchojet et bondit derrière elle, lui enserra une patte (une cheville?). Elle chuta à nouveau et se retourna vers lui. Il vit alors son visage, de couleur jaune, légèrement duveteux, mais étrangement humain et au moment où il braquait son fusil, il vit distinctement sa bouche commencer à articuler un son : "n…". Il tira.
Deux jours plus tard, Reno attendait de recevoir le prix de ses efforts. Après avoir tué la bête (Car après tout ce n'était qu'un animal. D'ailleurs, il avait soigneusement évité d'approfondir son observation après l'avoir abattu…), il avait renoncé à chercher son petit qu'elle avait dû mettre en sûreté et il avait actionné son bracelet de rappel. Il avait été félicité, nourri, logé dans les bâtiments des organisateurs. Il avait repris des forces, avait subi plusieurs examens médicaux. Il savait que dorénavant, il ne reverrait plus sa famille, qu'il allait quitter sa planète, mais cet avenir le remplissait de joie…
A cet instant, il attendait dans un couloir, en compagnie de trois autres gagnants. Deux agents de sécurité étaient venus le chercher dans sa chambre une heure auparavant et ne le lâchaient plus d'une semelle. Il se sentait gonflé d'orgueil, il était enfin devenu quelqu'un. Ses gardiens lui firent signe de se lever et l'introduirent dans une petite pièce vide, où trois personnes l'attendaient. A leur apparence, Reno reconnut des fonctionnaires d'Ipso . L'homme au centre pris la parole :
- Numéro 215 B. Vous êtes un très bon élément. D'excellents résultats en endurance. De la patience, de la ruse. Vous avez su éviter plusieurs pièges. Un sens de l'orientation développé. Peu de candidats parviennent au territoire des proies. Vous savez vous battre. Vous avez de la ressource. Nous sommes heureux, très heureux de vous accueillir bientôt sur Portat, conclut-il avec un sourire satisfait.
Reno esquissa un sourire mais sentit un des gardiens lui enserrer le bras fortement. Avant qu'il ait pu protester, son interlocuteur continua :
- Nos dirigeants s'ennuient. Ils cherchent des jeux à leur hauteur. Vous êtes un bon candidat. Sur Portat, votre territoire sera immense. On vous laissera le temps de vous acclimater. Il ne faut pas que ce soit trop facile. Quand vous serez prêt, la chasse commencera… A vous d'échapper le plus longtemps possible à vos poursuivants. Je suppose que vous aimeriez savoir le prix éventuel, si vous étiez vainqueur? (un rire nerveux lui échappa)… Désolé, mais les gagnants sont toujours les mêmes, c'est juste une question de temps… Bon séjour parmi nous!
Quand Reno fut traîné de force dans le long couloir par les agents, son cri ressemblait étrangement à celui poussé par la créature qu'il avait abattu deux jours plus tôt, dans le désert.
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Ven 5 Jan - 16:55
