Traversées Oniriques
Vous souhaitez réagir à ce message ? Créez un compte en quelques clics ou connectez-vous pour continuer.
Traversées Oniriques

Forum de l'association Traversées Oniriques
www.traversees-oniriques.com
 
AccueilAccueil  RechercherRechercher  Dernières imagesDernières images  S'enregistrerS'enregistrer  Connexion  
Le Deal du moment : -26%
Bosch BBS8214 Aspirateur Balai Multifonction sans fil ...
Voir le deal
249.99 €

 

 Matériau à Rêve et Rire d'Ambre

Aller en bas 
4 participants
AuteurMessage
Calypso

Calypso


Féminin Nombre de messages : 5
Date d'inscription : 28/12/2006

Matériau à Rêve et Rire d'Ambre Empty
MessageSujet: Matériau à Rêve et Rire d'Ambre   Matériau à Rêve et Rire d'Ambre Icon_minitimeLun 5 Fév - 12:01

Désolée c'est un peu long... Embarassed

« Bonjour et bienvenue ! La conférence va bientôt commencer… »
« Hep !
- Chut ! Le prof va nous engueuler !
- Ca t’intéresse toi cette conférence ?
- Je sais pas, oui bien sûr. On va quand même nous présenter l’expérience la plus fantastique qu’on n’ait jamais réalisée ! »


***
Plic, ploc.
Je regarde la chute lancinante de chacune des minutes de ma vie à travers l’éclatement régulier de chacune des gouttes d’eau qui suintent de la feuille évasée au-dessus de ma main.
Plic, ploc.
L’eau forme une petite flaque au creux de ma paume calleuse et rugueuse et, tout doucement, je me souviens.

***

J’avais neuf ans lorsque mon grand-père me prit par la main pour me mener jusqu’à l’orée de la jungle. Je venais d’être orpheline, mes deux parents ayant disparu dans la gueule avide d’un Hurleur des Mers. Les pêches étaient mauvaises, la nourriture rare. J’étais une bouche de trop à nourrir pour mon grand-père épuisé, entre les bras duquel reposait déjà la santé fragile de sa femme vieillissante.
Notre minuscule village puisait toutes ses ressources dans les immenses étendues d’eau salée face auxquelles nos huttes étaient construites. Derrière nous se dressait ce dont on ne parlait pas, le vertigineux mur de végétation qui ceinturait notre village, dressant tout autour un arc de cercle dont les deux extrémités venaient mourir dans notre mer, se trempant les pieds ou se noyant complètement selon le ressac des marées.
Nous étions des Océaneux, aux cheveux et aux yeux d’un bleu profond et insondable.
L’océan était notre horizon, la jungle notre prison.
Nombreux étaient les interdits qui pesaient sur cet état de fait. Pénétrer le mur de végétation en était bien sûr le plus important, mais cela allait même jusqu’à l’obligation d’utiliser tout autre matériau que le bois pour nos usages quotidiens, car les seuls arbres auxquels nous avions accès étaient les petites dizaines de bambous malingres que nous cultivions sur la place publique. Nos huttes étaient faites de boue et de torchis, et les coques de nos bateaux de Témalite, cette précieuse pierre flottante dont la solidité n’avait d’égale que la beauté de ses reflets gris-bleu.
Nombreux avaient été les aventuriers de toutes époques qui avaient tenté de quitter leur univers d’origine : il ne nous était resté d’eux que des peurs et du Matériau à Cauchemars, dont se servaient les vieilles femmes Tisserandes pour confectionner des rêves terrifiants pour toute la tribu.
Jamais je n’oublierai leur habileté dans le tissage des Souvenirs, la vivacité de leurs doigts gonflés tandis qu’elles recherchaient partout dans l’air des bribes d’histoires et d’anecdotes anciennes, pour les modeler ensuite en des formes diaphanes qu’il suffisait d’avaler pour faire renaître dans son esprit de lointains moments passés. Ces nourritures Cauchemardesques servaient à inhiber les pulsions aventurières et curieuses des jeunes.
L’océan était notre horizon, la jungle notre prison.
D’une certaine manière, mon peuple entier avait confusément assimilé cette loi à une autre : l’océan nous apportait tout ce qui nous était nécessaire, devenant une réelle source de vie pour nous, tandis que la jungle n’était qu’un monstre de peurs et d’interdits, une rivière végétale de mort qui nous barrait tout chemin vers l’intérieur de nos terres.

***

« Notre projet de départ était avant tout d’empêcher toute rencontre entre les différents peuples, afin d’éviter de nouveaux et terribles conflits que ces êtres ont déjà tant provoqués dans leur peu glorieux passé. C’est ainsi qu’un certain nombre de dispositions permettaient de supprimer physiquement tout sujet ayant quitté sa zone natale et son environnement de prédilection. Cela eut bien sûr pour effet de créer de véritables terreurs de l’inconnu et de la découverte, et nous nous sommes rapidement aperçus que sans la rencontre de la différence aucune évolution sur le plan scientifique comme humain n’était possible… »

***

Lorsque mon grand-père m’amena jusqu’au pied des premiers arbres gigantesques, ma peur faisait écho à la faim dévorante qui me tordait l’estomac et qui avait rendu depuis longtemps les muscles de mes bras et de mes jambes aussi mous que les Grandes Larves d’Eau que nous mastiquions parfois lorsqu’il ne nous restait plus rien de mangeable à avaler. Mon aïeul ne prononça aucun mot, et pas un instant sa main ne trembla lorsqu’il me poussa brutalement en direction de la végétation impénétrable.
Ses yeux secs comme du sable abandonné depuis trop longtemps par l’océan, son regard ne m’offrit pour tout adieu qu’un vide déchirant avant de se désintéresser de moi, tandis qu’il se détournait d’un pas à la fois plus pesant et plus léger, débarrassé d’une bouche à nourrir mais la conscience alourdie par de terribles regrets.
Ma faim eut vite raison de ma terreur pure et de mes vifs souvenirs Cauchemardesques. Je m’engageai de moi-même dans l’épaisse toile végétative.
Ma première découverte de la jungle ne me laissa que de terribles impressions primitives de terreur pure et d’angoisse. La plus forte en était ce terrible instinct animal et brutal que recèle la sensation d’étouffement, et que je n’avais jamais connu, en tant qu’enfant de l’Océan à l’horizon limpide.
Tandis que je m’enfonçais peu à peu à l’intérieur, la jungle ne me parut être qu’un inextricable fouillis de végétation dense et drue : des plantes dans tous les sens, chacune produisant sur la peau un contact étrange, j’étais effleurée, touchée, presque pénétrée par ces communications corporelles qui parfois me taillaient d’intenses estafilades sur ma peau tannée par le soleil. Plus j’avançais tant bien que mal et plus je réalisais que cette profusion n’était pas un mince mur fermant l’entrée de la jungle qu’il suffirait de traverser pour déboucher ensuite sur un lieu ouvert, mais au contraire la composante principale de toute la forêt. La jungle était un monstre intensément étouffant, intensément fermé à toute présence autre que de la végétation ; j’étais malmenée, écartelée, épinglée au centre d’une toile qui aurait vite raison de mon courage ; l’étouffement pénétrait ma peau par tous ses pores, pénétrait mes faibles muscles rendus inertes, pénétrait mon corps tendu par la pression qui se refermait sur moi, pénétrait mes os, pénétrait mon cœur, pénétrait mon âme. Folle de souffrance, je cherchais désespérément à lever la tête vers le ciel, mais je ne l’apercevais que très loin au-dessus de moi, lui qui m’avait toujours semblé si bas et si proche lorsque je le regardais embrasser l’Océan au bout de mon horizon. Lui aussi était mis en exergue de la jungle, lui aussi souffrait tout là-haut, tailladé par les branches des arbres immenses qui le sculptaient en une étrange mosaïque de taches de bleu.
Ce fut à ce moment précis que je réalisai que je ne pourrais plus revenir en arrière, que je n’avais pas non plus la force d’avancer, que j’étais irrémédiablement perdue dans le lieu de toutes les peurs, les miennes mais aussi celles, beaucoup plus dangereuses et influentes, de tout mon peuple pétri de Matériau à Cauchemar.
Les hurlements sortirent de ma gorge avec toute l’ardeur dont j’étais capable, jusqu’à la déchirer de leurs griffes suraiguës. Ma peur était telle qu’elle modelait mes cris pour y insérer mes appels personnels : je suppliai ainsi l’aide de mon grand-père, de ma grand-mère, de mes parents défunts, de n’importe qui du village. Evidemment aucune réponse ne me parvint et je finis par perdre tout à fait connaissance, ramassée sur le sol dans l’oppression de la couverture de végétation.

Ma première nuit fut aussi rude que mon premier jour.
J’avais cru dans ma folie que la jungle était pétrie d’un silence profond. Durant mon enfance j’avais toujours vécu dans le doux bercement du ressac des vagues, un bruit de fond profond et sonore qui était pour tout le village la Voix de l’Océan, impénétrable mais chaleureuse à sa manière. L’étendue d’eau semblait ainsi être une mystérieuse divinité mâle à la voix unique et monotone, mais toujours présente. La jungle quant à elle m’était tout d’abord apparue comme un immense temple de végétation au silence pesant.
Mais à présent que le bruit de ma propre terreur s’était évanoui, je découvrais soudain tout un univers de sons étranges sur lesquels je ne pus mettre de noms que bien plus tard : froissements, crissements, tremblotements, frottements, tout à coup le temple muet s’animait de toutes parts ; les bruits étaient incroyablement divers et de toutes tonalités, ils m’environnaient, me semblaient tous à proximité immédiate de mes oreilles, me plongeant dans un brouhaha, une véritable cacophonie de sons qui ne faisait que répondre au foisonnement des contacts que j’avais ressentis la journée. Ma nouvelle terreur fut d’ailleurs tout à fait identique à la précédente, mais au lieu de hurler je pressai le plus fort possible les paupières en me répétant un Chant d’Eau que ma mère modulait avec les lèvres lorsque j’étais toute petite, et, inexplicablement, je me rendormis.

Il serait trop long de conter toutes les découvertes suivantes, aussi terrifiantes que celles que j’ai déjà fait ainsi revivre par la simple rémanence des souvenirs.
L’alliance démoniaque d’une chaleur étouffante et d’une humidité poisseuse me donnait l’impression de respirer à travers une Eponge de Mer gorgée d’eau brûlante. Cette humidité permanente n’avait rien à voir avec la brise légère et salée qui recouvrait tout mon village natal, cadeau de l’Océan, de même que les pluies torrentielles qui noyaient le sol et m’obligeaient à chercher un abri sous la frondaison des arbres, le cœur aussi mortifié que l’était alors mon corps détrempé.
La différence entre le climat de la jungle et celui de mon village me stupéfiait. Il me semblait y avoir derrière cela un mystère étrange qui ne pouvait pas s’expliquer réellement par les croyances et les interdits qui séparaient les deux mondes d’une telle manière.
Cette impression fut renforcée lorsque après ce qui me parut être une interminable période d’errance dans une jungle entièrement végétale, je pénétrais brutalement dans une nouvelle jungle, encore plus terrifiante et surtout bien plus dangereuse. En quelques minutes tout changea autour de moi, et les sons auparavant provoqués par la vie végétale devinrent soudain des soufflements de bêtes tapies et de monstres sauvages épiant dans les fourrés.
J’avais fini par m’habituer à la jungle en tant que monstre végétal, je découvrais soudain qu’elle abritait en réalité un foisonnement de vies animales d’une grande diversité, et surtout présentant des dangers pour l’être humain au-delà de tout ce que j’avais connu jusque là, y compris les Hurleurs des Mers qui se trouvaient ici déclinés sous des formes terrestres nombreuses et aussi variées de race que reliées par leur même appétit de viande.

***

« …et c’est ainsi qu’après la suppression définitive de ces dispositions en réalité abusives, nous avons pu assister à la rencontre étonnante de peuples tout à fait différents, une rencontre que nous appréhendions bien sûr, étant donné le passé extrêmement violent de ces êtres, mais qui se révéla d’une complexité étonnante… »

***
Revenir en haut Aller en bas
Calypso

Calypso


Féminin Nombre de messages : 5
Date d'inscription : 28/12/2006

Matériau à Rêve et Rire d'Ambre Empty
MessageSujet: Re: Matériau à Rêve et Rire d'Ambre   Matériau à Rêve et Rire d'Ambre Icon_minitimeLun 5 Fév - 12:02

Voilà la suite :

***

Plic, ploc.
Les gouttes d’eau ont formé un Océan minuscule au creux de ma main. Minuscule pour moi mais certainement pas pour des organismes beaucoup plus petits qui peuvent graviter sur mes doigts et perdre leur regard dans l’étendue qui stagne au fond de ma paume, devenue aussi grande qu’un continent.

Plus j’y pense et plus je réalise que sans l’étonnante chose qui se produisit à ce moment précis où je découvrais enfin toutes les facettes de la forêt tropicale, je n’aurais certainement pas survécu longtemps. On est incapable de protéger sa vie, seul dans une jungle que l’on ne connaît pas. Le danger est partout, il se cache dans chaque zone d’ombre, chaque coin d’inconnu. Les végétaux, la moiteur, la maladie, les insectes, les reptiles, les fauves, rien ne se donne gratuitement dans la jungle, tout se prend et se gagne au prix d’une longue bataille.
C’était ce que j’allais apprendre avec les Arborescents.

***

Lyana fut la première que je rencontrai, au moment où elle sautait souplement d’une branche pour atterrir sur le dos de l’étrange bête aux yeux jaunes qui grondait dans ma direction. L’animal se calma aussitôt, et je compris qu’une relation d’affection liait les deux êtres alors que je les détaillais.
La jeune femme qui me faisait face me ressemblait de façon étrange, de la même façon qu’une écaille de Poisson Verni renvoie à celui qui s’y regarde un double déformé, sensiblement pareil et en même temps différent. Ses cheveux avaient la couleur sombre des feuilles dans lesquelles j’avais pris l’habitude de m’abreuver, et dans ses yeux se retrouvait la teinte mordorée des troncs d’arbres centenaires qui nous entouraient. Quant à ses mains et ses pieds, je ne mis pas longtemps avant de réaliser avec horreur qu’ils étaient disjoints les uns des autres, sans lien de chair véritable entre eux ! Enfin, ma terreur fut à son comble lorsque je réalisai que son dos était pourvu de deux immenses ailes membraneuses d’un vert translucide.

Ce ne fut qu’au bout de quelques jours passés avec son peuple, dont les maisons épousaient les troncs des arbres et reposaient sur leurs branches, reliées les unes aux autres par des ponts de corde tissée, que je compris que leur morphologie était tout simplement adaptée à leur environnement.
Dans la jungle, il n’y avait pas assez d’étendue d’eau pour nécessiter des pieds et des mains palmés comme les miens, extrêmement commodes pour la nage et la pêche sous-marine. Il n’y avait pas non plus besoin de savoir bloquer sa respiration pendant plusieurs dizaines de minutes comme je savais le faire, un peu à la manière des Ailerons Bleus qui vivaient dans l’eau mais sans branchies, restant dans l’obligation d’aller chercher de l’air à la surface à intervalles réguliers.
Dans la jungle, les abris les plus sûrs se trouvaient à la cime des arbres, près des Becs-de-Cuivre et des Presqu’Arborescents, ces êtres à la forme vaguement humanoïde mais recouverts d’un poil dru, et poussant sans cesse des cris effarouchés.
Les ailes des Arborescents leur étaient donc d’une utilité évidente, de même que leur constitution plus trapue et plus musclée que la mienne, qui leur permettait de se défendre contre les Grondants. A ma rencontre avec Lyana j’avais cru que son peuple avait su apprivoiser ces étranges bêtes sauvages, souples et musculeuses, d’un noir d’Abysse ou d’un orange rayé, mais seuls quelques animaux, pris et éduqués dès la naissance, leur vouaient une fidélité sans égale.
Ma vie au sein de leur peuple ne fut pas simple. Je n’avais que neuf ans, et je me heurtai à des problèmes complexes : rejet de ma différence, incompréhension totale de la langue, difficultés de déplacement au sein des arbres, et enfin mal de l’Océan, lancinant et profond, comme une plaie béante qui ne guérit jamais et déverse sans cesse son lot de sang sur un cœur séché par les épreuves.
Lyana, plus âgée que moi de plusieurs années, me fut d’un grand secours, me traitant avec une patience infinie qui ne pouvait s’expliquer que par sa soif longtemps inassouvie de faire la connaissance de gens différents. Je la découvrais curieuse de tout ce qui concernait ma façon de vivre, tentant sans cesse d’adapter des techniques ancestrales de mon peuple au mode de vie du sien.
Lorsque je parvins peu à peu à maîtriser leur langue complexe, je lui demandai pourquoi elle n’avait jamais cherché à sortir de la jungle, à marcher vers l’Océan, et à découvrir mon peuple par elle-même.
Elle m’emmena alors dans leur Temple, une petite hutte entièrement recouverte de plumes de Becs-de-Cuivre, et me fit découvrir une réserve de gouttes d’ambre cristallisée. Lorsqu’elle m’invita à en scruter les volutes, je découvris alors des scènes ressemblant de façon étonnante aux Cauchemars de mon peuple, relatant toutes des accidents inexpliqués arrivés à tous ceux qui tentaient de sortir de la jungle animale pour pénétrer dans la végétale que j’avais traversée. J’avais encore cette impression bizarre de me retrouver devant un reflet inversé, déformé, me renvoyant quelque chose de sensiblement semblable à mes propres expériences, et en même temps de tout à fait différent.

***

« Comme vous le savez bien, lorsque nous avons abordé la planète appelée Terre, des conflits majeurs en avaient complètement ravagé les civilisations, détruisant des millénaires de culture et de science. Les derniers Humains survivaient dans des paysages apocalyptiques, et nous avons remarqué avec stupeur que leur morphologie, qui était commune à toute l’espèce à la base, avait évolué génétiquement pour se diversifier selon les lieux de vie des différents peuples. Des conflits violents s’organisaient déjà entre ces différentes « races » humaines, et plusieurs étaient déjà réduites en esclavage à cause de leur faiblesse physique. L’histoire se répétait. C’est la raison pour laquelle nous les avons transportés sur une planète de synthèse, recréant des milieux divers entre lesquels il ne pouvait y avoir au premier abord aucune communication… »

***

J’ai essayé, un jour, de retourner jusqu’à mon peuple.
J’étais partie à la recherche de mes origines, d’un lieu que j’avais oublié, peu à peu, dont les souvenirs s’étaient estompés avec le temps, et que seules mes différences morphologiques d’avec le peuple des Arborescents me renvoyaient par éclairs de sensation, comme m’évoquant une vie antérieure à laquelle je n’avais plus accès depuis longtemps.
Rien n’avait changé durant mon absence.
C’était toujours les mêmes difficultés, les mêmes épreuves de la vie, il n’y avait eu aucune évolution, aucun progrès, rien qui me donnât l’impression que plusieurs années s’étaient écoulées, comme si les membres de mon peuple s’ébattaient dans un éternel présent.
Je n’osai pas sortir de la jungle végétale qui constituait une étrange barrière entre les deux mondes. Cependant, alors que j’épiai un petit garçon qui cherchait des Larves d’Eau dans une flaque, je fis craquer quelques branches mortes sous mes pas. L’enfant s’enfuit aussitôt, terrorisé à l’idée de s’être trop approché de l’endroit interdit.
Je savais déjà que ses cris et que son anecdote seraient très vite employés comme du Matériau à Cauchemar, que les vieilles femmes tisseraient, peut-être le soir même, afin de créer une nouvelle bulle de Rêve effrayant et qui ne ferait qu’augmenter, encore une fois, leur terreur inexpliquée de l’inconnu.
C’est là que je pris conscience que toute rencontre brutale de peuple à peuple ne saurait être bénéfique. Il y avait trop d’incompréhension, trop de terreur ancestrale et transmise de génération en génération.
A neuf ans, j’avais compris que les endroits qui nous semblaient si terribles étaient le plus souvent des endroits tout simplement inconnus. Au double de cet âge, j’avais donc réalisé que le savoir brut pouvait être un choc violent plutôt qu’une révélation positive.

Et c’est ainsi qu’avec Lyana, sans même en parler à son peuple, qui avait déjà eu beaucoup de difficultés à accepter ma présence, nous mîmes au point un plan d’éveil de curiosité. Nous voulions que les Océaneux comme les Arborescents quittent d’eux-mêmes leur lieu ancestral de vie pour partir à l’aventure, sans peur et sans arrière-pensée, dans le seul but de découvrir des territoires inconnus.
Lyana a patiemment franchi les étapes de la hiérarchie de son peuple afin de devenir une Dépositaire des Larmes, renonçant à fonder une famille dans le but de cesser la Sculpture sur ambre de scènes de terreur, et de les remplacer par des espoirs, et des envies de progresser. Pour ma part, j’ai passé d’interminables années à trouver le moyen de tisser le Matériau à Cauchemar, toute seule, sans éducation, travaillant juste à l’entrée de la jungle végétale, et regardant mon peuple vivre avec une certaine affection.
J’ai réussi, peu à peu, à force de patience et de courage, à maîtriser la pratique du Tissage, et je me suis alors appliquée à transformer le Matériau, à le rendre mois angoissant, puis de plus en plus beau. Chaque fois que je finissais un Rêve je le soufflais doucement vers mon village, sachant qu’il serait avalé par un habitant s’imaginant qu’il venait des Tisserandes.

***

Nous avons réussi, Lyana et moi.
L’eau goutte toujours dans ma main, et déborde sur les côtés, laissant s’échapper du fluide de vie, indispensable à notre survie à tous, quelle que soit notre morphologie.
J’ai soixante-neuf ans, un âge très respectable.
J’ai soixante-neuf ans, et Lyana, ma tendre et chère Lyana, est morte hier.
J’ai soixante-neuf ans, et demain le peuple des Océaneux franchira la jungle végétale. Je le sais, cela fait longtemps qu’ils ont préparé l’excursion. Quant aux Arborescents, ils ont déjà quitté la jungle animale pour pénétrer dans la végétale. Je n’ai plus qu’à espérer que la rencontre se passera aussi bien que nous l’avons voulu avec Lyana, et que nous avons tenté de préparer dans les Rêves et les Larmes, y incluant des images évaporées de rencontres pacifiques entre peuples, tremblotantes comme un espoir infini de paix et d’évolution.
J’ai soixante-neuf ans et je n’assisterai pas à leur rencontre.
Demain, je dépasse la jungle animale, je pars, dos à mon Océan. Je suis enfin prête, je pars découvrir ce qu’il y a encore plus loin, derrière, tout là-bas…

***
« Monsieur ?
- Oui mademoiselle ?
- Vous avez parlé à plusieurs reprises d’éthique, mais en quoi est-ce éthique de les faire vivre sur une planète artificielle et comme produit d’expérience, sans qu’ils en soient conscients ?
- Mademoiselle, pour ma part je considère tout cela comme une situation entièrement provisoire. J’espère sincèrement que les humains seront cette fois-ci en mesure d’évoluer de manière raisonnée, afin de pouvoir éventuellement recommencer une existence indépendante qu’on espèrera plus saine, sur une planète naturelle.
- Vos scientifiques se sont-ils déjà demandés s’ils pouvaient se permettre de régenter ainsi toute l’humanité ? Et encore, en espérant qu’à ce stade d’expérience, on puisse toujours parler d’êtres humains… »
Revenir en haut Aller en bas
Raphaël

Raphaël


Masculin Nombre de messages : 35
Age : 47
Localisation : Laval (53)
Date d'inscription : 28/12/2006

Matériau à Rêve et Rire d'Ambre Empty
MessageSujet: Re: Matériau à Rêve et Rire d'Ambre   Matériau à Rêve et Rire d'Ambre Icon_minitimeJeu 8 Fév - 1:19

Suprenante d'un bout à l'autre, cette histoire nous transporte dans un univers riche en trouvailles. Bravo !
Tu auras une correction détaillée plus tard : j'ai repéré notamment quelques pléonasmes ou mots inutiles... mais ce soir, je manque un peu de temps.
Revenir en haut Aller en bas
http://www.rtxonweb.110mb.com
Calypso

Calypso


Féminin Nombre de messages : 5
Date d'inscription : 28/12/2006

Matériau à Rêve et Rire d'Ambre Empty
MessageSujet: Re: Matériau à Rêve et Rire d'Ambre   Matériau à Rêve et Rire d'Ambre Icon_minitimeLun 12 Fév - 12:24

Merci beaucoup Raphaël pour ce commentaire encourageant! Embarassed
Ca aide à se motiver...
Revenir en haut Aller en bas
Yzabel

Yzabel


Féminin Nombre de messages : 16
Age : 44
Localisation : Strasbourg
Date d'inscription : 17/01/2007

Matériau à Rêve et Rire d'Ambre Empty
MessageSujet: Re: Matériau à Rêve et Rire d'Ambre   Matériau à Rêve et Rire d'Ambre Icon_minitimeLun 12 Fév - 14:39

Une bien jolie nouvelle. J'aime beaucoup l'ambiance qui s'en dégage. Quelque part, elle me fait irrévocablement penser à certaines BD que j'avais lues lorsque j'étais au lycée (impossible de me souvenir des auteurs, mais c'est ce côté d'"êtres humains prenant des caractéristiques du milieu où ils vivent", je pense).
Revenir en haut Aller en bas
http://www.yzabel.net
yurimyotha

yurimyotha


Nombre de messages : 233
Date d'inscription : 30/11/2006

Matériau à Rêve et Rire d'Ambre Empty
MessageSujet: Re: Matériau à Rêve et Rire d'Ambre   Matériau à Rêve et Rire d'Ambre Icon_minitimeVen 20 Avr - 12:37

Un style hautement litteraire pour cette nouvelle rudement bien menée !! bravo à toi ! cheers

Mais, il faut faire attetion à ne pas tomber sur le trop littéraire justement, qui alourdie considérablement le discours naratif de la petite fille...
En fait je dirais :

+ le style est beau et l'écriture belle
+ l'histoire est bien et pourrait même mener à être allongée de dialogues et de découvertes plus appronfondies sur le monde et les civilisations (mais on ne tombe plus sur la nouvelle évidemment)

- le style n'est pas forcément adapté, au discours de la fille de 9ans apeurée et faible...
- le style lourd devient trop lourd pour une nouvelle plus longue.

voila, et biensur je t'encourage à continuer, on sent une maturité certaine dans l'écriture !
Revenir en haut Aller en bas
Contenu sponsorisé





Matériau à Rêve et Rire d'Ambre Empty
MessageSujet: Re: Matériau à Rêve et Rire d'Ambre   Matériau à Rêve et Rire d'Ambre Icon_minitime

Revenir en haut Aller en bas
 
Matériau à Rêve et Rire d'Ambre
Revenir en haut 
Page 1 sur 1

Permission de ce forum:Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum
Traversées Oniriques :: La soute : un lieu d'échange des créateurs :: Tablettes électroniques-
Sauter vers:  
Ne ratez plus aucun deal !
Abonnez-vous pour recevoir par notification une sélection des meilleurs deals chaque jour.
IgnorerAutoriser